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à qui appartient l'espace ?
[Extrait du N°277 « 2020, L'Odyssée de l'espace », 18/12/19]
PHILIPPE CLERC, juriste
Référent conformité et éthique d’entreprise pour le Cnes (Centre national d’études spatiales).
Depuis quelques décennies, l’espace stimule comme jamais la création du droit international, pour le bien de tous. Il y a d’abord eu, au niveau des États, le fameux traité sur l’espace de 1967, qui a donné un cadre juridique à la course à la Lune entre l’URSS et les États-Unis, et a plus généralement défini le droit des activités dans l’espace extra-atmosphérique et sur les planètes du Système solaire. Il pose les principes d’une liberté responsable et pacifique d’exploration et d’utilisation de ces espaces en y interdisant toute forme d’appropriation nationale. Pour le reste, les États ont le devoir d’autoriser et de contrôler les activités spatiales conduites par leurs ressortissants et, le cas échéant, de garantir la réparation des dommages que ces activités privées peuvent causer aux tiers.
Aujourd’hui, de nouveaux problèmes juridiques se font jour, notamment dans le contexte du New Space. Un droit nouveau des transports et des services spatiaux, par exemple, va bientôt émerger avec l’arrivée des systèmes réutilisables et des systèmes en orbite ; à l’opposé du modèle « jetable en orbite » – avec l’acceptation du risque de perte – jusqu’ici en vigueur, ceux-ci vont bouleverser les questions de responsabilité légale de la filière spatiale. Il y a aussi le risque accru de collision, avec la prolifération des constellations de nanosatellites peu contrôlables (constellations Starlink, OneWeb…), qui ouvre le chantier juridique de la détermination de la « faute en orbite » : cette question devient indissociable des réflexions à mener en vue de l’établissement d’un système de gestion mondiale du trafic des véhicules spatiaux, autrement dit d’un futur code de circulation en orbite.
Reste l’épineux dossier de l’appropriation des ressources minières sur les planètes ou les astéroïdes. C’est un débat houleux, doctrinal, mais il va falloir l’aborder sans tabou. Il y a d’abord le principe de la non-appropriation nationale posé par le traité de 1967, qui interdit toute forme de proclamation de souveraineté territoriale sur le sol ou le sous-sol des corps célestes. Celui-ci n’a jamais été contesté, même par ceux qui ont adopté une législation autorisant l’appropriation des ressources extraites sur ces corps. Posons aussi le fait que le droit de l’espace consacre sa libre exploration et que nous en sommes toujours à ce stade de prospection aujourd’hui et à moyen terme. Toute exploration, et a fortiori toute exploitation commerciale future, devra par ailleurs respecter le principe de protection planétaire, de non-contamination de l’environnement extraterrestre et ne pas nuire à autrui selon les principes de responsabilité du traité. Une autre règle plus générale du droit international ou du droit minier veut que celui qui engage des investissements pour un forage puisse prétendre à un juste retour lorsque l’exploitation devient faisable ou effective. Les bases actuelles sont donc de nature à garantir le respect des intérêts de chacun à ce stade et à permettre d’ouvrir sereinement des négociations internationales lorsque cela sera nécessaire.
Enfin, la question sous-jacente restera de savoir jusqu’où peut s’appliquer le droit terrien en général. Comment, en effet, régir en temps réel des activités qui ne peuvent être conduites de façon autonome et indépendante depuis la Terre, du fait de l’éloignement géographique ou physique ? Une question similaire s’est posée en Europe avec l’émergence des premières compagnies des Indes, au xviie siècle, et l’on a su alors y apporter des réponses. Gageons qu’il en sera de même pour les futures expéditions interplanétaires du xxie siècle.
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