Appellation «champagne» en Russie : 5 minutes pour comprendre une loi qui fait débat

Une nouvelle loi prévoit que désormais seuls les vins effervescents provenant de Russie pourront utiliser le mot « champagne » alors que le véritable champagne français devra lui écrire « vin pétillant » sur ses bouteilles. Explications.

Illustration. Vladimir Poutine a signé une loi qui oblige les vins de Champagne à renoncer au terme « Shampanskoe » - traduction du nom champagne en russe – et se présenter sous le terme « vins mousseux » en caractères cyrilliques sur la contre-étiquette.  REUTERS/Kirill Kudryavtsev
Illustration. Vladimir Poutine a signé une loi qui oblige les vins de Champagne à renoncer au terme « Shampanskoe » - traduction du nom champagne en russe – et se présenter sous le terme « vins mousseux » en caractères cyrilliques sur la contre-étiquette. REUTERS/Kirill Kudryavtsev

    C’est une nouvelle loi russe, symbolique, qui met les Français sous pression. Certains considérant même cette annonce comme une nouvelle attaque, « une guerre » contre la France. Vendredi, le président de la Russie, Vladimir Poutine, a signé un texte qui fait réagir toute la filière de champagne français. Craignant pour son patrimoine historique, son image et ses intérêts économiques, la filière a rapidement décidé d’agir face à l’interdiction du mot champagne sur les bouteilles importées et vendues dans le pays d’Europe de l’Est.

    Que prévoit ce nouveau texte ?

    Si la filière française et son appellation d’origine contrôlée (AOP) champagne sont souvent attaquées, personne n’avait vu venir une telle décision. Vendredi, le président russe a signé une loi qui prévoit que seuls les vins effervescents provenant de Russie pourront utiliser le mot « champagne », alors que le véritable champagne français devrait lui prendre l’appellation « vin pétillant ».

    Dans les faits, les vins de Champagne conservent le droit exclusif d’utiliser le nom « Champagne » en caractère latin sur l’étiquette principale, mais ils devront renoncer au mot « Shampanskoe » - traduction du nom champagne en russe – et se présenter sous le terme « vins mousseux » en caractères cyrilliques sur la contre-étiquette.

    Une mesure protectionniste et patriotique qui vise à promouvoir le pétillant fabriqué dans le pays depuis près d’un siècle. Les bouteilles de champagne qui seraient distribuées sans changement d’appellation pourraient être considérées comme de la contrefaçon.

    Quelles ont été les réactions des producteurs français ?

    Dans la foulée de cette annonce, la filiale russe du groupe français de luxe LVMH (par ailleurs propriétaire du groupe Les Echos - Le Parisien), qui produit notamment les célèbres Moët et Chandon, Veuve Cliquot ou encore Dom Perignon a prévenu ses partenaires locaux qu’elle suspendait ses livraisons vers le pays, en réponse à cette loi. Dans un communiqué, le groupe français a assuré que cette suspension était une mesure « temporaire », le temps de trouver la solution appropriée.



    Finalement, ce dimanche, Moët Hennessy a indiqué qu’il reprendra « au plus vite » les livraisons de champagne en Russie avec la mention « vin pétillant » au dos des bouteilles. « Les Maisons de Champagne de Moët Hennessy ont toujours respecté la législation en vigueur partout où elles opèrent et reprendront les livraisons au plus vite le temps d’effectuer ces ajustements », a indiqué, dans un nouveau communiqué, Moët Hennessy.

    Du côté du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), le week-end et la journée de lundi ont été très chargés. « Nous voulons être sûrs de ce que contient ce texte avant de réagir », prévenait-on ce lundi, en tout début de journée. Face au retentissement de cette annonce, la filière a finalement réagi via un communiqué. Maxime Toubart et Jean-Marie Barillère, coprésidents du Comité Champagne, « s’insurgent et juge cette décision scandaleuse (…). C’est notre patrimoine commun et la prunelle de nos yeux » .

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    Le Comité « regrette que cette nouvelle loi remette en cause plus de vingt ans de discussions bilatérales entre la France et la Russie sur la protection des appellations d’origine. Il est en train d’analyser les détails et conséquences de cette loi, dont il n’avait pas été informé par les autorités russes ». Les producteurs en appellent aux diplomaties française et européenne pour obtenir la modification de cette « loi inacceptable ». En attendant, le comité demande aux entreprises champenoises de cesser toute expédition vers la Russie, jusqu’à nouvel ordre.

    Quel impact pour les producteurs français ?

    Appellation d’origine contrôlée, le terme « champagne » est jalousement défendu par la France, qui rappelle que le vin doit provenir d’un périmètre précis dans la région du même nom pour avoir droit de s’en prévaloir. « Le nom Champagne est protégé dans plus de 120 pays », rappelle le Comité Champagne.

    Il craint qu’avec cette nouvelle loi, les consommateurs russes ne disposent pas d’une information claire et transparente. Ce dont doute Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou, qui a longtemps eu à promouvoir le champagne en Russie. « Tous les Russes savent que le vrai champagne est Français. Là-bas, la majorité de la population boit surtout de leur sovietskoïé champanskoïé, champagne soviétique, qu’un Français ne trouvera pas bon », détaille l’ex-ambassadeur, connaisseur du sujet.

    Un produit né dans l’entre deux-guerres, auquel les classes populaires et moyenne sont attachées, qui rappelle beaucoup aux Russes nostalgiques l’empire soviétique de leur enfance.

    Selon l’ex-ambassadeur, cette décision n’aura que peu de « conséquences ». « Seules les élites financières consomment les produits venant de France. Je ne sais pas si c’est une volonté de nuire ou une simple envie de réorganisation du marché de la part des dirigeants russes, mais il y a des motivations économiques importantes pour leur marché intérieur », termine Jean de Gliniasty.

    Une vision que semblent confirmer les chiffres des exports du champagne. la France n’exportait « que » 35 millions d’euros de produits vers le marché russe en 2020, la quinzième destination pour cet emblème français.